Interview par: Sylvain Stricanne et Silvère Vasselin
Photos par : Mathieu Claudon, Greet Druyts et Sylvain Stricanne
Illustrations pochettes: H-street.com et Kingston
Vidéo par : Silvère Vasselin
On pourrait parler en long et en large de l’influence qu’a eu Matt Hensley dans le monde du skateboard au travers de ce qu’il a apporté au street au même titre que Mark Gonzales, Natas Kaupas. Tout cela s’était dans les années 90.
Depuis, Matt bien que toujours très présent dans notre passion, très courtisé par les marques hype, n’a absolument pas renié ses origines. Au contraire, il y puise toute la pugnacité nécessaire au skate pour l’appliquer à son autre passion: la musique. Homme très discret et réservé, quelle ne fut sa surprise d’avoir une demande d’interview musical avec des skateurs.
> MATT : Salut les gars, vous venez de quel coin de France ?
Moi, je viens du Nord pas loin de la frontière Belge et Silvère de Normandie.
> MATT : Tu portes un beau t-shirt des Real McKenzies !!!
Oui j’aime beaucoup ce groupe, ils sont venus quelque fois dans le village à côté du mien environ 5 ou 6 fois. Je pense que Paul McKenzies aimait bien venir là-bas pendant ses day-off. D’ailleurs Madball, Sick Of It All, Agnostic Front,Lars Frederiksen, Authority Zero, The Rumjacks entre autres y sont venus aussi.
Allez Matt, parlons musique parce qu’à mon avis, on doit quasiment tout savoir sur ton parcours en tant que skateur.
Raconte-nous comment la musique t’est parvenue ?
J’étais vraiment très jeune et ma mère m’a poussé à jouer de la trompette dans le groupe de mon école. Vers mes quinze ou seize ans, j’ai eu une guitare pour mon anniversaire. D’ailleurs j’ai encore des drôles de photos de ce jour-là, c’est celles où vous avez peut-être pu me voir habillé pour l’école militaire. Je jouais de la guitare avec les habits militaires. Mais la musique est vraiment venue à moi directement grâce au skateboard, enfin celle que j’aimais vraiment. L’histoire n’est pas bien originale. A l’époque on avait tous des boombox pour écouter du punk rock en skatant.
Assez rapidement, je suis rentré dans un groupe nommé SPY KIDS, c’était un groupe typé ska. Je me débrouillais pas mal mais surtout on s’éclatait. Ça a duré une année de 1988 à 89. J’adore le reggae et le ska, c’était vraiment fun. On a ouvert pour les Selecters et les Skatalites, mais aussi No Doubt, mais ils n’étaient pas aussi importants que ce qu’ils sont devenus ensuite. C’était vraiment le début de ma vie musicale en tant que travail. On a fini par ne plus trop fonctionner et j’ai atterri dans FLOGGING MOLLY et certains des autres musiciens dans BUCK’O’NINE et le chanteur dans UNWRITTEN LAW. On était un peu rincé d’être dans tous les coins, un peu partout en tournée. On a arrêté le groupe.
Parle-nous de la musique liée à tes vidéos part en skate. Tu avais la possibilité de choisir ?
Putain que oui !!! OPERATION IVY !
Oui mais il y avait aussi de la musique classique.
C’est vrai mais c’était une nécessité liée au style de la vidéo qui était au ralenti. Mais directement, je savais que pour ma part, il fallait mettre du OPERATION IVY et cela bien avant que cela devienne à la mode. Maintenant, si l’on regarde après toutes ces années, je ne peux qu’avoir un large sourire quand je rencontre des riders qui me disent à quel point OPERATION IVY, par le biais de ma part, a eu une grande importance. Ça a fait le job !!! Mais à la base, j’ai fait la même chose que les skateurs qui allaient à la fin des vidéo pour voir quelle était la musique de la part. J’avais entendu ce groupe de San Diego qui chantait (Matt se met à chanter le titre Knowledge ) « All I Know , that’s I don’t know… ».
Tu étais à fond dans le punk, mais maintenant tu joues de l’accordéon. Ce n’est pas très punk.
Honnêtement, ce qui a fait la quintessence même de ma musique d’enfance, c’est d’avoir été fan de la musique de mon père et mes grands-parents qui aimaient beaucoup l’Irlande. Même si je n’y prêtais pas tant attention que cela. Mais déjà à la fin des 70’s, j’étais aussi fan du vrai punk. J’ai encore les 45 tours d’époque de « nevermind the bollocks » en picture disque. Je l’avais piqué à un pote de mon frère en 1978.
J’adore toutes les musiques avec lesquelles j’ai grandi tel que The Cure, The Smith mais aussi Depeche Mode, j’étais époustouflé, ébahi. Mais clairement, les fondations de la musique que j’aime sont le punk même si j’ai commencé à adorer le reggae et le ska en vieillissant.
L’accordéon ce n’est pas très populaire ou très moderne.
Du côté de ma mère, nous sommes Ecossais. Je suis Américain. Dans ma jeunesse, le voisinage écoutait ce style de musique et lorsque nous avons déménagé pour la côte Est, on écoutait un mix de musique Irlandaise et Celtique. Des accordéonistes venaient chez nous mais en tant que jeune de treize ans, je n’en avais vraiment rien à faire. Pendant très longtemps je me barrais, mais un jour ma mère m’a emmené avec mon frère à une fête « the scottish highland games ». A ce moment, j’ai commencé à m’éprendre de cette musique et ma passion pour le punk m’a permis de m’ouvrir sur cet instrument et de le trouver cool. Plus tard en vivant dans le sud de la Californie, j’écoutais à la radio la musique locale fortement influencée Mexicaine. J’ai vraiment commencé à l’adorer et je l’adore toujours. Donc j’écoutais de la musique Irlandaise, de la musique du monde et beaucoup de classiques Français. J’étais de plus attentif au rôle que pouvait avoir l’accordéoniste dans tout cela. Si tu écoutes bien FLOGGING MOLLY, tu retrouveras ces influences Mexicaines.
L’avant-dernier album « Life is good » contient quelques titres dans ce style.
Oui, on les compte sur les doigts d’une main. Mais ça aurait une hérésie de ne pas lier tout cela. Tu peux voyager de par le monde et retrouver toutes ces influences, les jouer aussi sans être un pur Irlandais. Je ne veux pas être mielleux ou faire dans le cliché, mais l’accordéon est comme un passeport sur le monde. Il t’emmène partout. Tu vas dans le métro à Paris, tu trouveras un accordéoniste avec ce son Français si particulier. Si tu vas en Louisiane, tu auras le style Cajun. Au Texas, tu auras des Mexicains dans la rue qui jouent le style Tijuana. Tu peux revenir dans 200 ans et tu auras toujours cette connotation musicale régionale. Tu retrouves de l’accordéon partout parce que c’est l’instrument de la classe sociale des travailleurs. On l’entendra aussi bien quand tu te maries que lorsque tu divorces. J’adore que l’on puisse avoir la joie et la tristesse en même temps dans cet instrument.
Justement dans ces différences, as-tu des accordéonistes fétiches ?
Assurément James Fearnley des Pogues serait dans ma liste. Flaco Jimenez qui est Americano-Mexicain qui a eu 8 ou 9 grammys, on le nomme la tornade Texane. Sa famille complète est incroyable. Son père a été le premier accordéoniste à enregistrer des disques de ce style.
J’ai remarqué que tu jouais plusieurs variétés d’accordéons.
Je joue principalement avec les FLOGGING MOLLY ce que l’on appelle le piano accordéon de différentes manières. Mais j’adore jouer du Button Accordéon qui est modèle très petit. Il y a un côté ancien, vraiment old-school que j’adore. Il y a un truc en plus, il faut vraiment lui accorder plus de temps, il demande vraiment beaucoup plus de travail, c’est ce que je fais et une fois que tu es dedans tu ne sais pas t’en défaire. J’essaie de tendre vers le jeu de Sharon Shannon et de rencontrer d’autres joueurs, récemment Mairtín O’Connor. L’an dernier, je suis allé au Texas spécialement pour rencontrer des musiciens Irlandais pendant 5 jours à un festival alors que j’étais en pleine tournée. Je suis rentré un jour chez moi, j’ai embrassé ma femme, fais mon sac, je me suis envolé pour le Texas pour ainsi dire retourner à l’école, apprendre à mieux jouer et progresser. On a passé de bons moments mais j’en ai aussi tiré une leçon de vie.
Quand as-tu songé que l’accordéon pourrait être ton travail ?
C’est vrai, ça peut paraître fou mais ça me permet de vivre depuis bien longtemps. A bien y regarder ça fait déjà 23 ans. J’ai pu faire une partie de ma vie et vivre du skateboard jusqu’à vivre de la musique. Ne vas pas penser que je saute d’un travail à l’autre juste pour être payé. Tout cela a pris de nombreuses années à travailler dur, de voyager dans un van, ne pas gagner d’argent. Comme tous groupes, ce n’a pas été facile. Il y a aussi beaucoup de tristesse à faire tout cela. Quand mon fils est né, j’ai dû assumer tout de front juste pendant un mois puis partir pendant 5 mois et me planter. Ça te casse n’importe quel homme. Ce n’est pas juste : « oh, j’aime faire ça, je le fais ». Tu dois assumer d’autres choses.
Comment as-tu appris à jouer ?
J’ai au départ appris par moi-même puis pris des leçons dès que j’ai commencé le piano accordéon. J’adore cela, mais c’est un instrument vraiment très dur à apprendre. J’ai commencé petit, mais je ne voulais pas aller faire des concerts de cette manière, cela m’a pris des mois. J’ai finalement eu un prof d’accordéon à la maison qui était Italien. Ça m’a permis d’accroitre ma connaissance de base. Il venait 2 à 3 fois par semaine à l’époque où j’étais encore étudiant. Avec lui une amitié solide s’est créée. Les débuts, en y repensant s’étaient vraiment très compliqués. Tout comme d’autres instruments comme la batterie. Mais bon tu dois penser à la finalité et te donner les moyens d’y arriver. J’ai pris des leçons de groupe et s’était marrant parce que je devais être le mec le plus âgé, j’avais 15 ans de plus que les autres, le plus vieux du groupe devait avoir 10 ans.
C’est quoi ton set-up accordéon et skate ?
Je suis aidé, sponsorisé au niveau des accordéons par Hohner. Mais je possède beaucoup de modèles dont un des années 40, il est très spécial avec une tonalité faite à la base pour de la musique typée Irlando-Américaine. Les joueurs Irlandais, on va dire, des années jusqu’aux années 50, les ont importés, ils ont une forme-type de banane.
J’ai aussi des accordéons italiens très rares et difficiles à trouver. Ils ont des ornementations incroyables. Ils sont très petits pour certains mais tellement puissants. Sans amplification, on pouvait en jouer dans des halls devant 200 personnes.
Je joue actuellement avec un accordéon dont le son est bon mais en plus l’instrument est beau avec ses touches de clavier et ses boutons ronds. Il a un drapeau Irlandais dessus.
Pour mon skate, je roule une John Lucero Small. J’ai roulé pour Black Label et H-Street. En truck, des Indy et certainement des roues Spitfire. J’ai été sponso Gullwing qui était une compagnie de San Diego, je n’en possède plus. Un pote essaye bien de me filer des Venture, mais je mets des Indy sur ma board. Il m’arrive de porter aussi un casque Indy, même si je sais skater, mais je ne veux pas risquer de mettre le groupe en péril. Ce n’est plus comme au début, ce n’est pas qu’une question d’un musicien, mais de tout le staff derrière. Ils bossent pour nous et en vivent. Il y a genre 15 personnes. Donc je cruise beaucoup et j’ai une mini rampe dans mon jardin que je roule tous les jours que je peux. Je mets tout le temps mes protèges poignets et dans certaines conditions mes genouillères et coudières. Je me suis bien cassé le poignet 11 fois et ça peut casser très vite, donc je dois faire attention. Ça me saoule bien de devoir faire autant attention mais je ne peux pas penser qu’à moi. Je fais de mon mieux et je relativise.
On t’a vu en photo sur un vieux Vespa, tu l’as toujours ?
Oui je vois de quoi tu parles. Non je ne l’ai pas, il ne m’appartenait pas. J’en ai vu rouler pas loin de chez moi, mais je possède un Vespa 175 que j’ai trouvée il y a 2 ans et ne t’inquiète pas il n’y a pas ombrelle dessus. J’adore les Vespa. Un de mes potes m’en a filé un complètement foutu. Je l’ai complètement démonté pour le refaire par moi-même et le câble de compteur a cassé juste 2 jours avant de partir en tournée.
As-tu un skateur actuellement que tu aimes particulièrement ?
C’est vraiment compliqué de choisir un seul rider pour moi. Actuellement tout va tellement vite en plus. J’adore parce qu’ils m’ont influencés : Steve Claar, Mark Gonzales, Neil Blender, Natas Kaupas, Frankie Hill, Eric Dressen, Lance Mountain, Hosoi, Ron Allen, Ron Chatman, Jason Lee, particulièrement Ray Barbee. Mark a tellement apporté, juste un trick sur un curb, lui allait apporter un truc en plus.
Comme on parle skate as-tu des souvenirs particuliers liés à la France ?
Je ne sais plus où mais être allé skater des banks avec mes potes (Evry ?). Le contest du Grand Bornand, c’était assez violent puisque l’on s’était fait bannir du village. On avait traversé les Alpes en voiture. Mais clairement les bassins de la tour Eiffel sont aussi un grand moment, qui a été, il me semble documenté. J’adore Paris, j’y ai emmené mon fils. J’y suis venu voir mon pote Fabrice (Le Mao), avec ma femme et mon fils, on est allé boire des bons Bordeaux. C’est un super souvenir.